Rose se remet doucement de toutes ces émotions. Il y a quelques heures encore, elle croyait qu’il vivait ses dernières heures même si le caporal de la gendarmerie avait tout fait pour la rassurer. Elle se dirige vers le bureau des infirmières ; mais, comme de bien entendu, la salle est vide. Rose fait le tour des couloirs et finit par trouver une aide-soignante qui lui indique le bureau du médecin chef de service, Marc Fontaine.
Elle frappe à la porte un peu timidement. Elle se gourmande et frappe un peu plus énergiquement.
« Entrez ! » dit une voix chaleureuse.
Rose ouvre la porte et se trouve face à un bureau plutôt en désordre… Elle a toujours pensé que les médecins étaient des personnes très ordonnées, mais celui-là doit confirmer la règle !
« Que puis-je pour vous, Madame ?
– Je suis Rose Dupin, la sœur de Nathan Dupin qui a été hospitalisé hier soir dans votre service. Je voudrais avoir quelques informations sur la santé de mon frère.
– L’avez-vous vu ?
– Oui, à l’instant ! Il me dit qu’il a perdu la mémoire de ces quatre dernières années et que pour lui, on est le 26 Novembre 2006 aujourd’hui. A part ça, il me paraît plutôt en bonne forme.
– Sur le plan physique, à part un léger traumatisme crânien, rien de bien grave, je vous rassure, votre frère va plutôt bien. Il est tombé de toute sa hauteur sur sa tête mais surtout, il avait quelque 0,82 gramme d’alcool dans le sang. C’est sur le plan moral que je suis plus inquiet.
– Vous voulez dire qu’il avait bu ? Mais ? Cela ne lui ressemble pas du tout !!
– Oui, il était complètement ivre, ce qui explique qu’il n’a pas vu l’ambulance.
– L’ambulance ? Mais enfin, de quoi me parlez-vous ? »
Le médecin lève un sourcil étonné mais sa voix se veut rassurante, tant il sent l’angoisse palpable de Rose.
« Les gendarmes ne vous ont-ils donc rien expliqué ? Votre frère a traversé sans regarder et s’est fait percuter par une ambulance. Dans son malheur, il a eu beaucoup de chance car l’ambulancière est une femme prudente qui ne roulait pas bien vite et qui a eu de très bons réflexes. Cela dit, votre frère étant dans l’incapacité de parler au moment de son admission, nous avons cherché des éléments de son identité. C’est alors que nous avons découvert une lettre dans sa poche, lettre qui nous fait penser que votre frère avait … Comment vous annoncer cela ?
– Dites les choses, c’est tout ! Je peux tout encaisser.
– Nous pensons que c’est volontairement que votre frère a traversé sans regarder… »
Rose accuse le coup, comme frappée par un coup dans le ventre. Elle relève la tête et poursuit :
« Vous voulez dire que c’était une tentative de suicide ? Vous avez cette lettre ?
– Non, nous l’avons restituée à votre frère.
– Suicidaire, Nathan… Quel choc ! En même temps, avec tout ce qu’il a vécu ces derniers temps, cela ne m’étonne qu’à moitié… Et cette histoire de perte d’années, qu’il ne se souvienne pas de ce qu’il a vécu ? Je trouve ça bizarre. Normalement, quand on est amnésique, on ne se rappelle même pas son nom… Alors comment se fait-il qu’il ne se rappelle pas de ces quatre années là ? Serait-ce un déni ? »
Marc prend le temps de la réflexion, cherchant à se faire bien comprendre.
« Je ne pense pas, même si on ne peut pas l’exclure. Il présente plutôt les symptômes d’une amnésie rétrograde, qu’on appelle encore amnésie d’évocation. Cela signifie qu’il a oublié ce qui s’est passé au moment de l’accident et une période donnée de temps avant l’accident, ici les fameuses quatre années. Il est possible que la mémoire lui revienne, ou pas…
– Ou pas ? Mon pauvre petit frère …
– Cela dit, ne vous inquiétez pas trop. S’il passe une bonne nuit, il pourra sortir dès demain vers 11h00, après la visite de l’interne.
– Je vous remercie, Docteur, pour le temps que vous avez bien voulu m’accorder. Juste une dernière question… Nathan aura-t-il un suivi médical ? Et si oui, par qui ? Par vous ?
– Oui, bien entendu, il devra être suivi dès sa sortie. Je peux le prendre en charge si vous le désirez, mais à mon cabinet. Tenez, voici ma carte ! Prenez rendez-vous avec ma secrétaire, précisez-lui que votre frère souffre d’amnésie rétrograde afin qu’elle vous donne un rendez-vous le plus tôt possible. Bonne journée, Mademoiselle ! »
Marc Fontaine, le médecin, lui serre la main doucement mais fermement, avec un sourire qui réchauffe le cœur de Rose. Certes, ce docteur ne sait quasiment rien des problèmes de Nathan, mais là, elle se sent un peu moins seule face à l’abîme qui s’était ouvert devant elle il y avait seulement quelques heures.
Rose, à peine sortie de l’hôpital, se met à la recherche d’une boutique de vêtements pour homme. Elle hèle un taxi qui la dépose en centre ville, devant la première boutique venue. Ses achats effectués, elle repart dans le même taxi pour l’hôpital, n’oublie pas de prendre quelques revues pour son frère. Elle met son plus beau sourire sur ses lèvres, frappe à la chambre n° 331, entre et se trouve face à face avec une inconnue plutôt jolie.