Aujourd’hui, j’ai envie de vous présenter un lieu vraiment fréquenté, une fontaine qui date peut-être du temps des romains et des gaulois. Pour la trouver, il faut marcher un peu, dans la forêt, près de la petite amazone (l’Eyre qui devient plus loin la Leyre), tout en profitant du paysage sauvage qui s’offre à vos yeux. Elle n’est pas très loin mais il faut se donner un peu de peine pour la trouver. Les pèlerins de Compostelle venait s’y reposer, se désaltérer et l’on attribue son nom à St Jean l’Evangéliste. La source guérit certaines maladies, dit-on dans le pays.
Morceaux choisis sur l’histoire de cette fontaine :
Située près de l’ancienne gare de Lamothe (entre Biganos et Le Teich), sur la rive de l’Eyre, à 150 mètres au sud. Située sur un chemin de Saint-Jacques de Compostelle, il faut traverser un ruisseau (dit « craste » dans le langage du pays) qui longe la voie ferrée pour y aller.
“On n’en voyait plus vers 1950 que la voûte de pierre en plein cintre, faite de pierres calcaires et recouverte de petits blocs d’alios. Elle mesure 1 m 50 environ dans les deux sens, en longueur et en profondeur, depuis que nous l’avons nettoyée avec des braves gens du quartier, cheminots spécialement. Dans la margelle se trouve un tronc creusé dans la pierre et qui s’ouvre à l’intérieur de la fontaine, ce qui permet aux généreux visiteurs et dévots de donner d’un côté et aux « loustics » de reprendre de l’autre !
L’incendie de la pièce de pins, par suite d’un éclatement de wagon de munitions allemand, avait fait abandonner cette fontaine. On dit aussi que les ouvriers qui avaient mis la haute tension vers 1923 dans ces parages avaient démoli le fronton et le devant de cette fontaine qui formait auparavant un petit monument religieux, moitié fontaine, moitié chapelle.”
Abbé Boudreau, 1975
“A quelques dizaines de mètres au Sud-Est de la gare de Lamothe, on trouve, en cherchant dans les bois touffus, la source St-Jean, jadis pèlerinage très fréquenté, elle est surmontée d’un petit édifice avec niche pour la statue du saint et l’on y déchiffre les dates 1645 et 1651. J’ai souvent visité cette source depuis une quinzaine d’années et n’y ai jamais vu une goutte d’eau. Peut-être est-elle une source mise à sec par le profond fossé que les ingénieurs ont creusé le long de la gare, lors de la construction du chemin de fer ? Peut-être est-elle seulement masquée et a-t-elle besoin d’être curée ? Malgré ce manque total d’eau, j’ai constaté dernièrement la présence d’une douzaine de chiffons les uns noués autour des barreaux de la niche, d’autres à terre, aux environs. Ces chiffons ne sont pas des linges que l’on a jetés après s’en être servis pour laver des plaies, puisqu’il n’y a pas d’eau. Ainsi est évident le fait que les chiffons ont été mis au bord de la source pour obtenir du saint qu’il provoque la guérison du mal.
Tout d’abord, le manque « total » d’eau à la fontaine St-Jean n’était pas vrai à l’époque. Depuis le creusement du ruisseau voisin ou « craste », une source a jailli en amont de la fontaine et a confisqué l’eau de la nappe presque entièrement. Il y avait et il y a encore parfois quelque suintement dans le fond récuré et à l’époque 0 m 20 au moins ; mais cela par intermittence : ce qui n’empêchait pas les gens de venir avec l’espoir de s’y laver ou humecter les parties malades.
Ce n’est plus le temps où l’eau coulait abondamment par le petit canal voûté que j’ai retrouvé sous terre, d’où elle glissait sur la rigole retrouvée également devant. Ce n’est plus le temps où les trains des pèlerins de Lourdes s’arrêtaient pour renouveler leur réserve d’eau au réservoir de la gare de Lamothe (démolie récemment) et permettaient aux passagers un rapide et dernier pèlerinage à Saint-Jean et à sa fontaine après celle de Notre-Dame.
Une brave vieille de 80 ans disait être allée, il y a une cinquantaine d’années au moins, cherche de l’eau pour laver le mal de son fils : « Je n’en ai pas trouvé dans la fontaine, alors j’en ai pris à côté (?) », c’est-à-dire, m’a-t-elle expliqué, dans la craste qui coule à côté à cinquante mètres environ. Il est en effet naturel que l’eau du ruisseau ait le même effet que la fontaine dont elle a confisqué la nappe ferrugineuse. De fait, l’enfant fut guéri le lendemain par des applications humides.
Une autre m’a raconté la guérison de son petit-fils atteint du mal blanc. Ces personnes jetaient le linge ou le laissaient là sur place après s’en être servi pour s’en débarrasser, petit linge ou mouchoir. Certains se contentaient de recueillir même avec le linge la rouille humide qui persistait dans le fond de la fontaine à sec. Le soir même, ou le lendemain, on obtenait la guérison. Rien là de miraculeux, semble-t-il, malgré l’expression rapportée par le Docteur Peyneau. Rien d’instantané, de soudain, comme ce qui constitue le miracle à Lourdes, par exemple. C’est le soir même, me disait ce jeune homme guéri du mal blanc ou d’une affection cutanée, que la croûte commençait à se détacher. L’oxyde (ou peroxyde) de fer que l’eau de source cueille dans l’alios à quelques dizaines de centimètres de profondeur est efficace pour ces maux-là, les plaies, les suppurations, ulcères, etc.”
Edouard Harlé, 1928
“Un petit monument en pierre, détruit depuis quelques années, portait une inscription latine dans un écusson. On y lisait ces mots à demi effacés : MIRABILIS DEUS et SANCTISSIMUS… otus … QUICUMQUE AEGRA SALUTIS. A côté de ce texte, on avait sculpté un aigle, emblème de SAINT JEAN l’évangéliste. On y trouvait souvent déposés par les malades des linges, superstition assez répandue dans les Landes.”
André Rebsomen
“J’ai à dire quelques mots au sujet de la fontaine vouée à saint Jean, patron de la Paroisse de Lamothe, supprimée avant la Révolution, vers 1772 (50 habitants seulement). Cette fontaine est couverte d’un petit monument en pierre aujourd’hui en ruines, dont l’importance dépassait celle qu’ont habituellement les constructions de ce genre. Elle était autrefois l’objet d’un culte qui est peut-être d’origine celtique et antérieur à la conquête romaine. (Disons plutôt qu’elle était une halte des pèlerins de Compostelle qui passaient par là en suivant la « levade » ou « leouade » de Balanos.) Elle avait même la réputation de produire des miracles, mais elle a perdu ses vertus depuis que la vogue l’a désertée avec la foi, et qu’elle n’exerce plus l’attraction des foules. La source en est tarie, du moins elle était vide quand je l’ai visitée.”
Docteur Peynaud, 1926
“M. Peyneau ajoute cependant un peu plus haut une assertion sujette à caution au sujet de la démolition de l’église de Lamothe et du partage de ses pauvres biens, matériaux et mobilier Les ayant-droits n’ayant pu se mettre d’accord pour partager amiablement entre eux le mobilier de l’église, il s’ensuivit entre les habitants de Mios et du Teich une rixe dont le souvenir dure encore et où les premiers l’emportèrent. Ils s’emparèrent de la statue de Saint Jean, qui était patron de Lamothe et la transportèrent triomphalement comme un Palladium dans leur église paroissiale. Ils la placèrent à côté de celle de leur patron, saint Martin, et, depuis lors, ils célèbrent avec une égale dévotion la fête de ces deux saints.
Les habitants du Teich leur ont pendant longtemps gardé rancune.
Une tradition existe en effet au Teich : Les Miossais nous ont volé saint Jean ! c’est-à-dire la statue de saint Jean. Moi-même j’opinais en faveur de l’explication du Docteur Peyneau, mais il faut à la fois se méfier des légendes, qui ont bien souvent au moins un fond de vérité, et les respecter. J’ai donc cherché, fouillé et questionné les gens du pays.
IL Y AVAIT BIEN UNE STATUE
Nous avons d’abord commencé les fouilles de la dite fontaine. Un premier fragment sculpté a été trouvé dans le fond de la fontaine, dans les flaques d’eau : une pierre creuse en demi-cercle avec une forme de coquille comme un bénitier. Mais en 1949, on déterra, à un mètre de profondeur environ, devant la fontaine, la clef de l’énigme : une grosse pierre, beau monolithe en calcaire divisé en trois niches : deux petites encadrant une plus grande de 50 centimètres environ, décapitée, et qui venait compléter et terminer la première découverte, reconstituant ainsi la voûte et le couronnement formé d’un cintre avec moulure se raccordant exactement sur les côtés. Deux barreaux rouillés barraient horizontalement cette niche centrale avec l’intention très nette de retenir une statuette et l’empêcher de tomber en avant.
La prétendue légende s’avérait donc une réalité ! Il y avait existé une statue, disparue maintenant, à la fontaine. N’était-ce donc pas celle que les Miossais avaient volée aux Teichois ? Cette statue, petite à la vérité — 0 m. 40 — en 1950, avait été vue quarante ans auparavant par d’anciens habitants de Lamothe. On m’a appris depuis qu’elle existait encore en 1914. A Mios, par ailleurs, pas de traces de statue de ce genre : à l’église, une grande statue de Saint Jean, moderne et en plâtre ; sur la place de l’église, il existe de fait une autre fontaine dédiée à saint Jean, toute petite avec un petit cadre de pierre et une simple croix de fer : c’est tout. Un pilleur inconnu a dû l’emporter facilement et la cacher : où ?
Je n’ai pu retrouver la pierre frontale dont parle M. Rebsomen : s’il y avait vraiment un aigle, la fontaine serait, contrairement à l’habitude du pays et des fontaines environnantes de Mios, Ychoux, La Teste, dédiée non à Saint Jean-Baptiste, mais à Saint Jean l’Evangéliste et apôtre.
Notons la différence de dates : M. Harlé a vu gravé 1645-1651. M. A. Rebsomen, 1606, et moi-même, à la lumière frisante du matin, j’ai cru distinguer sur le bord droit de la margelle devant le tronc, 1700 ou 1706.
Depuis quand existe ce monument dont nous avons relevé une partie de la façade ?
Un vaisseau de guerre (un trois-mâts avec château de proue et de poupe, long. 0 m 30), gravé en ex-voto par un marin pourrait nous donner une date plus ancienne : XVIIe siècle. La présence d’une coquille dans la niche pourrait faire remonter le monument au XVIe ?
Jadis, une grille, que j’ai retrouvée, enterrée, fermait le devant, c’est-à-dire l’arcade de la fontaine, et abritait le tronc auquel on parvenait néanmoins par un trou rond aménagé dans la grille, comme on le voit encore, et par où on pouvait passer la main et le bras pour atteindre seulement l’ouverture supérieure du tronc. Un cadenas devait retenir la grille aux anneaux scellés dans la murette de la façade.
Peut-être en creusant plus profond que nous ne l’avons fait, pourrait-on, selon le vœu de M. Harlé, trouver des offrandes du temps des Romains, des Gaulois, de l’Age du bronze ou de la pierre polie. La découverte, en 1969-1970, par M. Jacques Pérès, d’un temple ou « Fanum » gaulois sur l’autre rive de l’Eyre, près de la ligne de chemin de fer, abritant un puits ou une source sacrée, nous permet de croire au culte des eaux depuis longtemps en ces parages, sur les bords de la voie romaine de Bordeaux (Burdigala) aux Pyrénées, par Louse (Losa), actuellement hameau de Sanguinet.”
Abbé BOUDREAU, 1975