Il était une fois dans un village, un vieux sage… Les habitants avaient pour coutume de le consulter pour apaiser leurs doutes et leurs inquiétudes.
Un jour, un paysan courut le trouver et lui dit d’une voix pressante :
– Vieux sage, aide-moi ! Une chose affreuse vient de m’arriver. Mon boeuf est mort et je n’ai rien d’autre pour tirer la charrue. C’est la pire chose qui pouvait se produire !
– Peut-être que oui… Peut-être que non…
Le paysan regagna en toute hâte sa chaumière et annonça à ses voisins que leur sage était devenu fou. Comment ne voyait-il pas que la perte de cette bête de trait était la pire des catastrophes ?
Le lendemain, le paysan aperçut près de chez lui un cheval jeune et robuste. Il lui vint l’idée de s’en emparer pour remplacer son boeuf. Aussitôt dit, aussitôt fait. Quel bonheur ! Jamais labour ne parut aussi facile ! Ravi, le paysan retourna auprès du vieux sage pour lui présenter ses excuses.
– Tu avais raison, lui dit-il. La mort de mon boeuf n’était pas la pire des catastrophes. En fait, c’était un mal pour un bien. Car, sinon, je n’aurais jamais attrapé ce cheval. C’est certainement la meilleure chose qui pouvait m’arriver.
– Peut-être que oui. Peut-être que non.
"Voilà qu’il remet ça", songea le paysan. Décidément, le vieux sage n’avait plus toute sa tête.
Quelques jours plus tard, le fils du paysan fit une chute en montant le cheval. Une jambe cassée. Cette blessure lui vaudrait d’être immobilisé au moment des moissons. Le paysan s’arrachait les cheveux.
– Nous allons mourir de faim !
Il courut derechef voir le vieux sage.
– Comment savais-tu que ce maudit cheval était un cadeau empoisonné ? Tu avais encore vu juste. Mon fils s’est blessé et il ne pourra pas m’aider pour la récolte. Cette fois, pas de doute, c’est bien la pire tuile qui pouvait me tomber dessus. Tu es d’accord, n’est-ce pas ?
Mais comme les fois précédentes, le vieux sage le regarda tranquillement et lui répondit :
– Peut-être que oui. peut-être que non.
Furieux de cette ambiguïté récurrente, le paysan rentra chez lui en fulminant.
Le lendemain, des troupes investirent le village et enrôlèrent de force tous les jeunes gens. La guerre venait d’éclater. Incapable de se tenir debout, le fils du fermier fut le seul garçon du village à ne pas partir. Il allait survivre, alors que les caramades de son âge avaient toutes les chances de mourir au combat.