
proposition d’écriture : dessin de Marlène pour le blog à mille mains
Pensive, elle regarde tomber la neige sur la ville doucement. Pour elle, chaque flocon garde en soi l’émerveillement et la magie des souvenirs d’enfance. Petite, elle croyait que les flocons étaient des boules de coton qui tombaient de la baguette magique des fées qui survolaient les campagnes, boules de coton qui se transformaient par magie en de l’eau froide sur la langue.
Aujourd’hui, elle n’a pas le coeur à sortir, les bras en l’air, les bottes aux pieds, pour essayer d’attraper et de garder dans la main une étoile de neige. La ville s’enferme petit à petit dans le silence ouaté des jours de neige. Les voitures roulent plus prudemment, ce qui n’empêche pas quelques glissades et dérapages.
Aujourd’hui, Flora aurait préféré qu’il pleuve, pour que la neige ne soit jamais entachée de tristesse. Mais le ciel ne l’a pas entendu. Cela fait trois mois qu’il est parti, sans donner de nouvelles, sans donner de signe de vie. Elle ne sait où il est ; elle sait juste que ses vêtements sont toujours dans l’armoire.
Trois mois jour pour jour, et c’est aujourd’hui que la neige a décidé de tomber, comme pour enfouir ce qu’il restait d’espoir sous un blanc manteau qui ne restera immaculé que le temps où la neige se pose avec délicatesse sur le trottoir. Flora a le coeur serré par l’angoisse, et le silence se fait plus pesant encore.
Quelques cris de joie se font entendre dehors : ce sont les enfants des voisins qui sont tout à leur joie, qui se lancent des petites boules de neige à main nue. Leur plaisir est immense mais il renvoie douloureusement la solitude de Flora à ses yeux. Hypnotisée par la danse des flocons, elle ne se résigne pourtant pas à fermer les rideaux. Ses pensées vagabondent, errent et se heurtent toujours à la même question : où est-il ?
Une larme perle à ses cils, un soupir s’échappe de ses lèvres. Le plus difficile est de ne pas savoir… est de ne rien savoir. La neige aura donc un goût éternel d’angoisse, d’incertitude et de silence obtus. Même le téléphone s’est mis en mode hivernal. La radio diffuse des airs de Noël Blanc, comme en hommage au temps.
Encore un dernier regard à la ville qui s’endort quand soudain la porte d’entrée s’ouvre. Elle se retourne. Il est là !
C’est bien lui, Axel, en chair et en os, plutôt en os qu’autre chose d’ailleurs. Il porte une barbe négligée, un survêt un peu trop grand et une veste militaire. Il a l’air de ceux qui en ont bavé dans la rue ; il a l’air épuisé. Il pose un sac informe par terre, la regarde et fait un pas vers elle. Flora se jette dans ses bras, puis le repousse avec autant de force qu’elle a souffert.
“Pourquoi ? Pourquoi ne m’as-tu jamais donné signe de vie ? Pourquoi es-tu parti ? Pourquoi ? Pourquoi…”
Ses derniers pourquoi se mélangent à ses larmes, qui sont autant de bonheur que de soulagement et de désespoir.
“Pourquoi ? Parce que je ne savais pas. Je ne savais plus. Je me suis réveillé, j’étais à même le sol dans un jardin public, je n’avais rien sur moi et je ne savais plus qui j’étais. Je ne savais plus que tu existais… Ce n’est qu’hier que je me suis rappelé… Hier ! Tout ce temps perdu…
– Hier ? Tu ne savais plus que j’existais ? Ni qui tu étais ? Mais…
– Mais je me souviens aujourd’hui. Je suis là si tu veux toujours de moi. Je serai toujours là pour toi, tout le temps, toute ma vie. Je te dirai ces trois mois sans toi, je te dirai tout ce que tu veux savoir. Mais dis-moi si toi, tu veux encore de moi ?”
Flora, les larmes aux yeux, ne peut lui répondre. Elle ouvre simplement ses bras et se love contre lui. Aujourd’hui, la neige aura éternellement le goût des retrouvailles ardemment désirées, le goût du bonheur retrouvé.