A tous ceux qui viennent lire ce billet, je demande de ne pas copier ma variation sans m’en parler, et de toutes les manières de me citer. Merci par avance de respecter le copyleft et le copyright !
« Dans ce grand pénitencier qui se trouve à la périphérie de la ville, réservé aux condamnés aux travaux forcés, il y a une règle, en apparence humaine, mais en réalité plus que cruelle.
A chacun de nous autres, les condamnés à perpétuité, est accordée l’autorisation de se présenter une seule fois en public et de parler à l’assistance pendant une demi-heure. Le détenu, tiré de sa cellule, est conduit sur un balcon du bâtiment extérieur, où se trouvent la direction et les bureaux. Devant lui s’étend la vaste place de la Trinité et c’est là que se réunit la foule pour écouter. Si à la fin du discours la foule applaudit, le condamné est libéré.
Cela peut paraître une indulgence exceptionnelle. Mais ne l’est pas. D’abord la faculté de s’adresser au public, n’est accordée qu’une seule fois, je veux dire une seule fois dans la vie. En second lieu, si la foule répond « non » – comme c’est presque toujours le cas – la condamnation se trouve en un certain sens confirmée par le peuple lui-même et pèse encore davantage sur l’âme du détenu ; pour qui les jours d’expiation deviennent encore plus sombres et amers, après.
Et puis il y a une autre circonstance qui transforme ce espoir en tourment. Le prisonnier ne sait pas quand cette permission de parler lui sera accordée. La décision est entre les mains du directeur du pénitencier. Il peut arriver que l’homme soit conduit sur le balcon à peine une demi-heure après être arrivé à la prison. Mais il n’est pas exclu qu’on le fasse attendre de longues années. ( ….. )
Les gardiens viennent de m’annoncer que c’est mon tour. Il est deux heures de l’après-midi. Dans deux heures je devrai me présenter devant la foule. Mais je n’ai pas peur. Je sais déjà, mot pour mot, ce qu’il convient que je dise. Je crois bien avoir trouvé la réponse juste au terrible quiz. J’ai médité longtemps : pendant neuf ans, alors vous pensez…. Je ne me fais aucune illusion sur le public, il ne sera pas mieux disposé que celui qui a écouté mes malheureux compagnons.
On ouvre la porte de la cellule, on me fait traverser tout le pénitencier, je monte deux étages, j’entre dans une salle très imposante, je sors sur le balcon. Derrière moi on ferme les volets. Je suis seul devant la foule.
Tout cela aurait pu m’impressionner, mais je suis heureux, j’ai enfin ma chance. Je regarde le ciel : le soleil est de la partie, ses rayons me réchauffent jusqu’à l’intérieur de l’âme.
Bien sûr, je suis ému, qui ne le serait pas à ma place ?
Je commence par me gratter la gorge. La foule me dévisage. Certains ont l’air fermé, d’autres ont l’air amusé.
« Bonjour ! Je vous remercie d’être présent aujourd’hui, de vous être déplacé pour venir m’entendre cet après-midi.
Cela fait neuf ans que je suis dans ce pénitencier pour y purger ma peine. Neuf ans que je réfléchis jour après jour à ce qui est arrivé. J’aurai pu sombrer dans la haine, j’ai préféré le pardon. Cet après-midi, je viens vous demander solennellement pardon, à tous, à chacun de vous. Quand on fait du mal à une personne, c’est comme si on faisait du mal à toutes les personnes. »
Cela fait à peine trois minutes que je suis sur le balcon, et déjà certaines têtes me montrent de l’incrédulité, d’autres un air de « mais oui, c’est ça, cause toujours ! ». Pas facile en vérité de vivre un moment pareil…
« Je regrette profondément d’avoir agi de cette manière-là et je vous remercie de m’avoir fait venir ici, sur ce balcon, pour pouvoir vous le dire. Je voudrais que vous sachiez qu’au fond de ma cellule, chaque jour qui passe est un jour de profonde réflexion sur le sens de la vie.
Vous qui vaquez à vos propres occupations, qui emmenez vos enfants à l’école, vous avez une aussi grande responsabilité que moi dans ma cellule : vos enfants sont votre avenir, tout comme vous êtes mon avenir. Vos enfants méritent ce qu’il y a de mieux. Quand ils font une bêtise, une erreur, vous les punissez pour qu’ils ne recommencent pas. Et pour autant vos enfants vous aiment toujours aussi profondément que vous les aimez.
J’aimerai toujours l’humanité que vous êtes, quoique vous fassiez. Regardez au fond de votre cœur, cherchez bien : au fond, dans votre cœur, il y a votre âme, votre humanité. Quand je la regarde, je vois tout l’amour que vous avez pour vos proches, tout votre bon sens et votre tolérance aussi. »
La foule s’agite… murmure…Je les regarde tous, un par un, avec intensité. Je veux qu’ils comprennent que ce que je leur dis, je le pense entièrement.
« Je veux que vous sachiez que, quelle que soit la décision que vous prendrez dans quelques minutes, je continuerai d’aimer votre humanité. Ce n’est pas facile de décider, c’est même la chose la plus difficile au monde. Parce que décider, c’est être responsable.
Je pourrais vous promettre monts et merveilles afin de sortir, ce ne sera pas le cas. Par contre, je vous promets sur ce que j’ai de plus précieux, c’est-à-dire vous, de continuer à aimer chaque jour de ma vie, aimer et réfléchir aux conséquences de tout acte. Parce qu’aimer est la seule chose qui ait du sens.
Cette promesse, je vous la fais et la respecterai, que je reste ou que je sorte. »
Survient un moment de silence. La foule ne dit mot, difficile de savoir ce qu’elle pense. Je les regarde toujours droit dans les yeux. L’émotion brille dans mes yeux. Pourvu qu’ils entendent le message !
« S’il est une seule chose à retenir d’aujourd’hui, c’est que tout le monde a une chance de s’en sortir et qu’il faut saisir toute opportunité de pouvoir changer sa vie. Le pardon et l’amour sont deux portes vers la rencontre de l’humanité, les deux portes qui donnent du sens à la vie. Le pardon et l’amour nous permettent d’avancer pour être meilleur, pour être plus humain, pour être tous plus humains.
Du fond du cœur, je vous remercie de m’avoir écouté jusqu’au bout.
Que votre décision ne soit que l’écho de votre cœur. »
Je ferme les yeux. J’inspire… J’expire… Je rouvre les yeux.
J’attends leur décision.