C’était un noël pas blanc, jamais blanc. La neige, je crois bien que je ne l’ai jamais vue enfant si ce n’est sur les Pyrénées lors de mes deux classes de neige.
Un Noël, c’est forcément un Noël de couleurs, oui, les Noëls de mon enfance resteront pour moi ceux de la couleur avant tout. La première qui me vient, c’est le rouge associé à l’or. Le sapin est mis dans le salon. Petite, c’est à mes parents de le monter, car il est en plastique. Parfois, ce fut un véritable sapin. Oups, pardon, un pin ! C’était la cime d’un pin, et ça sentait la forêt. Il était toujours vert. Je ne comprenais pas pourquoi on disait que ses aiguilles étaient des feuilles, parce que si c’était des feuilles, elles seraient toutes douces et elles mourraient en virevoltant, portée par le vent. Je passais et repassais devant lui, je humais cette bonne odeur. Je ne pouvais m’empêcher de le toucher, son tronc, ses aiguilles. Il me fascinait, ce pin.
« Arrête de le caresser toutes les deux minutes, tu vas finir par faire tomber toutes ses aiguilles !! ». Mais c’était plus fort que moi.
Une fois le sapin installé en bonne place, on mettait le papier « aux étoiles » à ses pieds et on y installait la crèche. Ah, la crèche… Mon père en fabriqua une avec des tasseaux et des allumettes. Nous, pendant ce temps, avions cherché de la mousse pour la mettre sur le toit, et du foin, enfin de l’herbe séchée, pour mettre sur le grenier (je ne connais pas le mot !) au-dessus des bêtes. Enfin, c’était à nous de poser les santons, l’âne et le bœuf. Les rois mages étaient loin du sapin, ils avaient de la route à faire puisqu’ils n’arriveraient qu’après Noël.
Quand la crèche était finie, on passait à la décoration du sapin : les guirlandes toutes plus scintillantes les unes que les autres, les boules, et surtout l’étoile tout en haut du sapin. C’était le plus dur, car l’étoile ne voulait pas rester bien droite quand ce n’était pas le sapin qui ployait sous son poids…
Et une année, mon père a sorti quelque chose de plutôt laid d’une boite toute neuve. Il nous a demandé d’attendre avant de décorer le sapin car il voulait mettre ce fil électrique sur les branches. J’étais très sceptique sur le bon goût de mon père, même s’il y avait des petites boules en verre sur ce fil vert, mais en fille obéissante, je l’ai regardé installer la chose.
Puis il nous a demandé d’éteindre le lustre pendant qu’il branchait la chose. Et cette chose si laide est devenue féérique, les couleurs clignotaient, le sapin s’illuminait… C’était de la magie pure !! Quel bonheur que de voir ce sapin clignoter et mettre des couleurs tout partout dans le salon !
Le sapin terminé, il nous fallait attendre. Quand je rentrais de l’école, j’aimais le voir s’allumer. Il faisait vibrer la maison. L’ambiance était vraiment différente. C’était l’ambiance de Noël, c’était l’ambiance pour les enfants. J’avais l’impression que lorsque la ville comme la maison était toute illuminée, c’était parce qu’on se mettait à l’heure des enfants.
Je me souviens d’un Noël dans les Vosges particulièrement. Les Noëls vosgiens, ça voulait dire voir toute la famille, même les sœurs de Grand-Papa que je ne voyais qu’à cette occasion. Le frère de Mamie, Tonton Charlot, je le voyais chaque fois qu’on partait en vacances chez eux, mais jamais mes grandes-tantes. D’ailleurs, c’étaient des grandes femmes qui m’impressionnaient, je dois bien le dire.
Cette année là, Mamie est venue me voir en me tendant un petit bonhomme fait dans une pâte que je ne connaissais pas. Elle me dit :
« Sais-tu qui c’est ?
– Non, je ne sais pas ! Et je ne sais pas ce que c’est non plus comme gâteau !
– C’est du pain d’épices, et le bonhomme, c’est Saint Nicolas. Tu le connais ?
– Ben… Euh..
– C’est Saint Nicolas, c’est lui qui amène les jouets aux enfants bien sages. Mais s’ils n’ont pas été sages, c’est le Père Fouettard qui vient, et avec son martinet ! Au fait, as-tu fait ta lettre au Père Noël ? »
– Oui, Mamie. Tu veux la voir ? »
Quand arrive le jour du 24 Décembre, l’ambiance est électrique, survoltée même. Dans la cuisine, c’est une véritable fourmilière. Des tas de bonnes odeurs arrivent à mon nez. La bûche au chocolat est un gâteau roulé avec une crème au beurre. Avec le temps, elle sera au café, parfum préféré de la famille pour certains, et il y en aura une deuxième à la vanille, pour les irréductibles, mais toujours, toujours avec un nappage au chocolat. Je mets sur la bûche des petits sapins, des scies, des champignons. J’en mets tout partout parce que j’aime en avoir sur ma part, pour avoir le plaisir de lécher les figurines. Parfois, avec une fourchette, je fais genre « c’est une vraie bûche de bois, avec de l’écorce », Maman me dit que c’est beau sûrement pour me faire plaisir !!
La dinde est mise au four, ou le chapon, selon les années, selon le nombre de convives. Enfin arrive le moment de l’ouverture des huîtres. Je regarde mon père les ouvrir, avec les hommes présents. Je regarde ces pauvres petites choses ouvertes, je les plains. Je découvre même avec horreur que c’est vivant, que ça palpite encore et que c’est comme ça qu’on va les manger… Pardon, qu’ils vont les manger, parce que ça, pour moi, ça n’est jamais passé, et ça ne passera jamais !
Arrive le moment de mettre la table. Chacun fait quelque chose : la nappe, la belle nappe blanche ou rouge avec des étoiles blanches. La belle vaisselle est sortie, les couverts aussi. Puis sur le chemin de table, on pose les décorations, des perles, des bougies, des guirlandes. Sur le lustre, s’envolent des anges vers le ciel, anges qui nous regardent. Pour le plaisir, avant l’heure, on éteint la lampe et on allume bougies et sapins. La maison en est toute changée. C’est du plaisir à l’état pur.
Après la messe, nous pouvons rentrer à la maison. Parfois le Père Noël est passé, ce qui me ravit. Mais parfois aussi, nous n’allons pas à la messe qui est trop tardive et là, le Père Noël doit le savoir car il ne vient pas.
Nous passons à table. Le repas passe lentement, on prend le temps de parler tous ensemble, de rire. On met de côté ce qui ne va pas pour profiter de ce moment qui ne dure pas. Je trouve que ça s’éternise. Je voudrais tant que Papa Noël vienne tout de suite. Mais non, il faut aller se coucher, il passera dans la nuit. C’est qu’il est très occupé avec tous ces enfants dans le monde !
Le matin arrive, pardon, j’ai fini de dormir mais la nuit n’est pas finie. Je me lève sans faire de bruit, direction le sapin. Youpi ! Les cadeaux sont au pied du sapin !
« Maman !! Papa !! Debout !! Le Père Noël est passé !! »
Je ne suis pas la seule à être debout, mes sœurs aussi ! C’est l’effervescence ! Je tremble tant j’ai envie de savoir ce qu’il m’a apporté. J’espère que ce n’est pas une mandarine comme quand Papa et Maman étaient petits ! Non, c’est un jouet !! Ce n’est pas une Barbie, mais qu’importe, je suis tellement contente !